Sérieusement, j’ai dû apprendre à apprécier le créole haïtien sans l’associer au français et à la France, et c’est quelque chose qu’on doit faire avec tous les pays francophones. Quand j’étais plus jeune, ma sœur avait un petit copain haitien. J’étais une gosse difficile, presque de la même taille que lui et que tous mes enseignants au collège; en plus, je pensais que j’avais tout compris. J’ai commencé à suivre mon premier cours de français pendant ces années pré-adolescentes, et quand j’ai rencontré le petit ami de ma sœur, j’étais donc fascinée. Haïti était une colonie française, mais ils parlaient créole! J’étais contente de le rencontrer, et je lui ai demandé si je pouvais parler français avec lui pour pratiquer. Il est important de relever que cela n’a pas duré longtemps avec ma sœur, parce qu’il était un mec peu sympathique, mais je me souviendrai toujours de son air embarrassé quand il m’a répondu tout simplement « No. » Je lui ai demandé pourquoi une ou deux fois après, jusqu’à la rupture entre lui et ma sœur, mais il n’a jamais voulu me donner d’explications.
C’est avec Internet, puis lors de mes cours à l’université, que j’ai réalisé à quel point le français et le créole étaient des langues différentes. Le créole haïtien, qui est une des deux langues officielles en Haïti, n’est pas du tout la même langue que le français: les langues ne sont pas mutuellement compréhensibles – en parler une ne signifie pas comprendre l’autre . Il y a des différences linguistiques entre le créole haïtien et le français; le créole, pour le dire très simplement, emploie un lexique français et la grammaire et les structures de langues des peuples de l’Afrique de l’Ouest, particulièrement les langues fon et igbo. Par exemple, dans la langue fon, on dit honto che, qui veut dire ‘ami mon’, mon ami, en français. On trouve la même structure dans le créole haïtien en disant zanmi m, ‘ami mon’. Il y a aussi des influences espagnoles et anglaises, en raison des différentes vagues de colonisation, et de l’ewe, une autre langue de l’Afrique de l’Ouest.
Au fil des années je me suis familiarisée avec la culture haïtienne grâce à des amis et des cousins haïtiens. La langue, en Haïti, est un fort marqueur social: qu’on parle français ou créole est avant tout révélateur de la classe à laquelle on appartient. Il y a dans notre magazine un article de mon camarade Gaetan Paul sur l’usage des langues en Haïti, spécifiquement dans l’éducation, et il explique le côté culturel de sa propre expérience. Bref, la langue qu’on parle est avant tout une question de classe sociale. Autrefois, et moins fréquemment aujourd’hui, les gens qui ne savaient pas le français étaient dédaignés. Le créole haïtien est devenu une langue officielle en Haïti en 1987, mais il existe encore des réserves quant à cette langue.
Je ne suis plus la petite sœur fouineuse de douze ans, mais souvent je repense à mon ignorance, et à la manière dont j’ai insisté auprès du petit copain haïtien pour qu’il me parle en français. J’étais sûre que le creole était très similaire au français, au pire un type de français “cassé,” comme beaucoup le voient encore aujourd’hui. Je ne savais pas que certaines personnes ressentaient de la fierté pour le créole haïtien, qui est fait d’ingéniosités, et qui est en quelque sorte la mémoire des langues parlées par ceux qui sont devenus esclaves, deux cents ans avant moi. C’était l’erreur d’une enfant, et de quelqu’un qui ne connaissait pas cette histoire, mais cette erreur reflète bien la vision fausse que nous avons sur les cultures francophones – et dont on croit qu’elles viennent forcément de la France. Ce sont des pays francophones, mais, comme on l’a vu grâce à la belle couverture que font mes collègues sur ces pays dans ce magazine, leurs langues et autres aspects de leurs cultures ne sont pas redevables à la France et à sa langue.
Si vous voudriez faire connaissance du créole haïtien, vous pouvez commencer avec une belle chanson: